Anjou - Département de Maine-et-Loire
Archives départementales Aux sources de l'histoire de l'Anjou

Le « trésor » de l'abbaye royale de Fontevraud

De quel trésor s'agit-il ? Tout simplement du magnifique ensemble que représente le chartrier de cette grande abbaye fondée en 1101 par Robert d’Arbrissel, aux confins de l’Anjou, de la Touraine et du Poitou, et dont les précieux cartons et registres sont conservés depuis deux siècles aux Archives départementales de Maine-et-Loire.

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Le chartrier de l’abbaye : un reflet de 7 siècles d’histoire

Constitué de 1129 registres et dossiers, du XIIème à 1790, le chartrier de Fontevraud est, aujourd'hui, l'un des ensembles les plus riches conservés en France. Cette richesse, il la doit avant tout à l'illustre passé de l'abbaye, représenté à chaque étape : sa fondation, par Robert d'Arbrissel en 1101, et les efforts de la première abbesse, Pétronille, pour organiser autour d'elle un Ordre qui essaime en trente ans dans plus de cinquante prieurés. Les bienveillantes attentions des comtes d'Anjou se multiplient : de Foulques de Jérusalem qui dote l'abbatiale et assiste à sa consécration, à Henri II, roi d'Angleterre, qui attache à l'abbaye le prestige de sa dynastie et la personnalité controversée d'Aliénor son épouse.

Pétronille de Chemillé, première abbesse de Fontevraud

La plus grande originalité de Fontevraud fut d’être un ordre mixte, dirigé par une femme. Dès le temps de la fondation, Hersende de Montsoreau, proche parente du premier protecteur, porte le titre de Prieure. Ce fut Pétronille de Chemillé qui prit en 1115, un an avant la mort de Robert d'Arbrissel, le titre d'abbesse. Trente-trois abbesses devaient se succéder jusqu'à la Révolution, toutes femmes de haute naissance dotées de personnalité puissante.

La dynastie Plantagenêt

La grande chance de Fontevraud fut de connaître presqu'aussitôt la faveur de la Maison d'Anjou, elle-même en prodigieuse ascension. Déjà maîtres de la Touraine depuis le XIème siècle, les comtes d'Anjou s'assurent le Maine (1110) sous Foulques V, bientôt roi de Jérusalem, la Normandie (1144) sous Geoffroy Plantagenêt, l'Aquitaine (1152) et l'Angleterre (1154) sous Henri II, époux d'Aliénor.

Henri II reproduit à l'égard de l'abbaye la généreuse bienveillance de son aïeul Foulques V. En 1189, son inhumation dans l'abbatiale inaugure le choix de celle-ci comme nécropole de la dynastie. Après lui y trouvent leur ultime refuge son fils Richard Cœur de Lion (1199) et sa veuve Aliénor d'Aquitaine, depuis quelques années retirée (1204). Plus tard, d'autres parents dont Isabelle d'Angoulême, veuve volage de Jean Sans Terre, rejoignent les sépultures royales, constituant ainsi le « cimetière des rois » dont les vestiges demeurent aujourd'hui visibles à l'intérieur de l'abbatiale. Parmi les biens les plus précieux du Trésor, figurent les chartes des rois d'Angleterre. Témoignages de leurs donations, à travers lesquelles transparaît la fortune de leurs ambitions, elles contribuent à écrire l'une des pages les plus célèbres de l'histoire de l'Ordre.

Au versant du Moyen Âge, alors que l'abbaye sort ruinée de la guerre de Cent Ans et que l'autorité de son abbesse faiblit devant les attaques des frères, Marie de Bretagne, vingt-cinquième abbesse, retirée au prieuré de La Madeleine Les Orléans, impose la réforme et rend à l'Ordre puissance et dignité. Elle ouvre la voie à deux siècles de présence de la maison de Bourbon dont sont issues les abbesses, Renée, Louise, Éléonore, puis Louise de Bourbon-Lavedan et Jeanne-Baptiste, toutes, de tante en nièce, œuvrant pour la gloire retrouvée de leur ordre. Seule déception, elles n'obtiendront pas auprès de Rome la canonisation tant désirée de leur fondateur.

Les Prieurés de Fontevraud

Durant les sept siècles de l'histoire de l’Ordre, cent-cinquante prieurés furent fondés avec un inégal succès. Répartis dans toute la France, ils sont cependant plus denses dans les quatre provinces d'Anjou, Poitou, Berry et Limousin qui représentent le cœur de l'« empire angevin ». Mais l'Ordre essaime au-delà des frontières, en Angleterre et en Espagne. La fin du Moyen Âge est fatale à beaucoup d'entre eux : en France, les prieurés ruinés par la guerre de Cent Ans doivent être abandonnés. À l'étranger, l'Ordre ne maintient qu'à grand peine des liens distendus. Au XVIIème siècle, seules cinquante maisons se réclament de l'appartenance fontevriste. À la tête de cet Ordre tant convoité, Louis XIV impose en 1670 une jeune fille de 25 ans : elle est la sœur de Madame de Montespan et n'a manifesté pour la vie religieuse qu'une vocation mesurée. Celle que le Roi Soleil nommera « la perle des abbesses » y demeurera 34 ans, laissant le souvenir d'un second « siècle d'or » : autour d'elle, une grande réputation de vie spirituelle, mais aussi une cour d'artistes et d'écrivains. Les domaines de l'abbaye sont immenses et procurent à la communauté des revenus forts conséquents malgré de lourdes charges. La toute puissance de l'abbesse, protégée des rois et des papes, s'exprime clairement dans l'adage : « Partout où il pleut, partout où il vente, Madame l'abbesse a des rentes ». Le dix huitième siècle qui s'ouvre à sa mort n'est qu'une continuité du précédent ; contrastant avec le déclin qui touche alors tous les établissements, préservée des débats jansénistes par la vigilance de ses abbesses, Fontevraud s'organise pour accueillir, en 1738, les quatre filles de Louis XV qui confie à la province leur éducation : dernière grande aventure de la vie de l'Ordre, à laquelle la Révolution met brutalement un terme.

La Révolution vide l’abbaye mais préserve son « trésor »

Dans la vie calmement mondaine que mène, entourée de ses sœurs en religion, l’abbesse Julie de Pardaillan d'Antin, le tumulte de 1789 résonne comme un coup de tonnerre. Les premiers à partir sont les frères, emportés dans l'année 1790 par les premières mesures de dissolution des ordres religieux. Puis l'inventaire des biens est dressé, les terres confisquées le 2 juin 1791. Les sœurs toutefois refusent de quitter l'abbaye, et y mènent durant deux ans encore, une rude vie de privations, car tout revenu leur a été supprimé, jusqu'à ce que survienne l'obligation de se disperser, le 10 août 1792.

Insoucieuse des personnes, l'administration révolutionnaire s'est cependant préoccupée des biens : saisis, inventoriés, tous ceux qui n'ont pas été pillés sont vendus. Bientôt Saint-Jean de l'Habit, monastère des hommes, tombe sous la pioche des démolisseurs ; le monastère des repenties, La Madeleine, connaît partiellement le même sort. Mais la grande abbaye, proposée en un seul lot, ne trouve pas d'acquéreur. Ainsi survivra-t-elle à cette dramatique décennie et nous offre-t-elle aujourd'hui l'image préservée d'un des plus grands ensembles monastiques encore existants.

Pour en écrire l'histoire, seuls demeureraient ses murs si une mesure discrète n'était intervenue, dès 1791 : l'administration du district de Saumur, qui a reçu mandat de préserver les titres à l'appui des biens récemment devenus « nationaux », procède le 27 janvier à l'enlèvement des liasses et registres, et les conduit à Angers où sont réunies, en grand désordre, les archives de l'Ancien Régime qui n'ont pas été la proie des flammes. Regroupés par le Directoire départemental dans l'ancienne abbaye Saint-Aubin devenue le siège de l'administration, confiés à la garde des commis d'archives qui n'hésitent pas à opérer dans la masse de contestables éliminations, ils y attendent des jours meilleurs, oubliés mais intacts, alors que s'apaise la tourmente.

Dom Lardier, premier archiviste de l’Ordre

En 1637, l'abbesse Jeanne-Baptiste de Bourbon n'a qu'un désir : mettre l'histoire au service du prestige de l'abbaye qui sort alors grandie d'une réforme entreprise près de deux siècles plus tôt, et obtenir ainsi la canonisation du fondateur.
Elle confie cette tâche à l'un des anciens prieurs du monastère Saint-Jean de l'Habit, communauté d'hommes placée, comme celle des femmes, sous son autorité. Dom Jean Lardier, né à Châteaugontier le 25 novembre 1601, se voue tout entier à l'étude de son Ordre et rédigea dans les trente dernières années de sa vie soixante douze volumes dont il nous livre lui-même la liste. Si la plupart furent dispersés avant même la Révolution, demeure aujourd'hui conservé le célèbre « Inventaire des titres », en sept grand volumes manuscrits, rédigés de 1646 à 1658. Le « Trésor » est alors intact dans les locaux réservés au chartrier, à l'angle du logis de l'abbesse, près de la Chapelle Saint Benoît. Une partie seulement des pièces décrites nous  sont aujourd'hui parvenues. Ainsi l'œuvre monumentale de Dom Lardier reste-t-elle l'intermédiaire privilégié de la recherche et le récit plus vivant de la vie de l'Ordre.

Le classement des documents : un travail de bénédictin qui se poursuit encore

Mêlant toutes les époques et tous les personnages, évoquant aussi bien la vie de l'abbaye que celle de ses cent cinquante prieurés, l'importance et la complexité du chartrier de Fontevraud en ont longtemps différé le classement : au XIXème siècle, la publication de quelques extraits particulièrement spectaculaires par l'archiviste Paul Marchegay permet la prise de conscience de la valeur historique de l'ensemble.
La publication en 1954 par Jacques Levron d'un rapide répertoire numérique, encore le seul en usage, répond aux nécessités d'une consultation dont la demande se faisait plus vive. L'inventaire actuel énumère, dans les 437 premiers articles, les documents relatifs à l'histoire générale de l'abbaye ; puis, dans les 692 suivants, ceux qui ont trait à l'histoire des prieurés et domaines, en France et à l'Étranger.
La reprise, actuellement en cours, permettra de disposer d’un inventaire complet du fonds, attendu depuis près de deux siècles. Ainsi se trouvera sinon reconstitué, du moins mieux connu, le passé de la grande abbaye, dont témoigne le « trésor » miraculeusement préservé.

Les mésaventures du grand Cartulaire

Le Cartulaire d'une abbaye n'est autre qu'un registre de copie d'actes, destiné à garder la mémoire des grandes décisions qui affectent son histoire. Souvent seul garant de l'authenticité des pièces et de leur texte véritable, il acquiert au cours des siècles l'importance d'un témoin irremplaçable, et est considéré comme la pièce essentielle d'un chartrier.
Le Cartulaire de Fontevraud fut constitué au XVIIIème siècle et comptait 276 feuillets de parchemin sur lesquels figuraient environ 1050 actes. Lorsqu'au début du XVIIème siècle l'abbesse Éléonore de Bourbon le fit doter d'une nouvelle reliure, les huit premiers et les quatre derniers feuillets avaient déjà disparu, ainsi que huit autres feuillets intermédiaires. Réuni à la Révolution au fonds des Archives départementales, dans les conditions précaires déjà décrites plus haut, il fut, en 1822, mutilé par un escroc qui, déjouant l'attention de l'archiviste, en subtilisa la plus grande partie hormis les neuf premiers feuillets, sans doute trop abimés, et la table alphabétique finale, plus tardive. Les feuillets dérobés furent recueillis par un marchand parisien mais ils n'étaient plus qu'au nombre de 136.
Après les avoir de nouveau reliés, le marchand les céda au célèbre collectionneur anglais Sir Thomas Philips, mort en 1872. En 1908, à la faveur de la dispersion de ses collections, les précieux feuillets furent acquis par la Bibliothèque Nationale où ils sont désormais conservés. Quant aux fragments demeurés aux Archives départementales de Maine-et-Loire, ils furent recueillis avec soin par l'archiviste Paul Marchegay qui les fit relier, en 1853, avec une copie qu'il effectua lui-même des pages conservées alors en Angleterre.

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